Sur un pétrolier avec un pilote de la Station de pilotage de Dunkerque

 

JFR

 

 Les pilotes, ces esthètes de la manoeuvre

Cet été, le Phare vous propose d’aller à la rencontre de ceux qui travaillent sur l’eau ou qui côtoient la mer au quotidien

Ils connaissent le port et la côte dunkerquoise comme la poche de leur veste de quart : les courants, la forme et les noms des bancs, les dimensions des écluses, la profondeur de chaque bassin, le poids des portes des écluses, jusqu’au nombre de bollards par quai.

.. et les hauteurs des grues ! Les pilotes, ces hommes de l’ombre qu’on ne croise jamais finalement, sont pourtant les maîtres des portes maritimes de Dunkerque. Capables de prendre la manoeuvre sur n’importe quel type de bateau, par n’importe quelle condition météorologique, les pilotes maritimes de la station dunkerquoise sont les seuls habilités – outre les capitaines-pilotes des ferries – à rentrer et faire sortir les navires dans les dédales de darses, de bassins et d’écluses, du grand port maritime de Dunkerque.

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Un port peut-être plus difficile que les autres à négocier, avec ses courants traversiers, ses écluses, ses marées… Prendre en charge un bateau, une mission qui n’est pas des moindres puisque le pilote qui assure les manoeuvres, a entre ses mains, le navire, les hommes et son contenu. Autant dire qu’ils n’ont pas le droit à l’erreur. Des millions d’euros voire des milliards d’euros de marchandises sont en jeu à chaque fois. « C’est une relation de confiance », explique Jean-Charles Le Gall, président du Syndicat des pilotes, élu depuis 3 ans et demi, entré au pilotage en 1997.

Une confiance à chaque fois remise sur l’eau. Ce jour-là de juillet, Jean-François Raffini qui a obtenu son brevet de pilote à 32 ans, a été appelé pour deux bateaux. Il découvrira la fiche des navires qu’il va prendre en charge à son arrivée au siège. S’agit-il d’un navire de 292 mètres de longueur par 45 de largeur, un fameux minéralier Capesize de 170 000 tonnes dont le gabarit épouse les dimensions maximales de Dunkerque, d’où son nom Dunkerque Max ?

Avec ses plus de 10 ans d’ancienneté, il est habilité à les faire. Mais il aurait été épaulé par un de ses collègues. Obligatoire pour ce genre de navire aux dimensions hors normes. Pour cette fois, Jean-François Raffini a rendez-vous au terminal Stocknord sur le King Edwin, un pétrolier de 183 mètres. La veille, il avait sorti un petit gazier qui partait vers Anvers. Une nouvelle journée, un nouveau bateau, un nouveau capitaine, des conditions différentes. À chaque fois.

Un métier de feeling

Fin d’après-midi, le pilote monte à bord. « Il fait beau, mais il ne faut pas se laisser déconcentrer », confie ce Dunkerquois d’adoption, originaire de Corse. L’odeur prenante du fioul lourd qui enveloppe le bateau tranche avec la propreté quasi immaculée du navire. Prise de contact avec l’équipage et les données du bateau, le pilote est déjà concentré… « Le but est de bien gérer la vitesse du bateau… C’est un métier qui nécessite beaucoup de feeling…, illustre Jean-François Raffini. On commence sur des petits bateaux pour acquérir l’expérience nécessaire… » Une mission dont l’enjeu peut provoquer des doutes, voire la peur ? « On réussit tout le temps, mais il y a des manoeuvres qui sont moins belles que d’autres », concède-t-il. Des pilotes condamnés à réussir. « Un jour alors qu’un pilote allait partir à la retraite, on a placé des capteurs pour étudier son palpitant… La conclusion est qu’il avait encore des poussées d’adrénaline après des années de métier… » Cette adrénaline sans laquelle le métier de pilote maritime ne serait probablement pas le même. « On s’y accoutume », reconnaît Jean-François Raffini. « Mais c’est de la bonne adrénaline… »

« Il faut rester humble »

Un métier où l’analyse de la situation à l’instant T doit se conjuguer avec une prise de décision rapide et réfléchie. « Il faut prendre les étapes les unes après les autres et savoir rester humble, sinon, tu peux te retrouver dans la difficulté… Parfois, je me sens bien et je fais des trucs sympas, de belles manoeuvres… Mais il faut savoir se remettre perpétuellement en cause. En fait, chaque pilote est différent… » Jean-François Raffini, 41 ans, est un des 29 pilotes en poste à Dunkerque et un des 350 pilotes français. Recruté sur concours, il accuse déjà quelques années en mer… Breveté capitaine de marine marchande première classe, comme tous ses autres collègues, avec ses 72 mois de navigation obligatoire et ses 24 mois au long cours (mesure spécifique à Dunkerque), ce fils d’un ancien sous-marinier réformé aux Phares et Balises en tant que gardien de phare – celui des Sept îles au large de Perros-Guirec – a commencé comme mousse sur un bateau à passagers qui assurait la liaison avec les îles anglo-normandes.

Ancien officier de SeaFrance, il a passé le concours deux fois. « Quand on prépare le concours, il ne faut faire que ça… Il faut s’arrêter complètement de naviguer. C’est dix mois d’investissement. » Une implication qui, si le concours est concluant, permet au pilote de prendre des parts dans la station et assurer ce qui il y a de plus excitant dans la navigation : les manoeuvres !

Jean-François Raffini a toujours voulu être marin, « depuis que j’ai 12 ans. » Une «vraie passion » qui l’a mené aux quatre coins du monde, par tous les temps. « Un jour on était dans une tempête force 9, j’étais lieutenant, j’avais 25-26 ans, le capitaine nous avait fait mettre les combinaisons de survie. On avait pris une vague scélérate de 15 mètres de haut, des sabords ont cassé… On travaille dans un milieu hostile, rappelle-t-il, on a tous connu des grosses tempêtes ! » Du long cours au pilotage, Jean-François continue à tracer sa voie sur l’eau. Avec toujours ces éléments avec lesquels lui et ses collègues doivent composer. « L’hiver ici, ça bastonne, on a de grosses difficultés à piloter… »

Pilote, « job » dont il ignorait l’existence enfant et qu’il ne quitterait plus aujourd’hui. « C’est un métier magnifique. Il y a des conditions parfois difficiles, mais on est payé pour ça, c’est notre boulot. Si c’était simple, on n’aurait pas besoin de nous… » En quittant le King Edwin, le capitaine Timoscenco lui lancera le traditionnel « Good job pilote ! » Son homologue néerlandais, le jeune capitaine Van Der Knijf remerciera un peu plus tard « son ami le pilote. » Jean-François Raffini consignera ces deux bateaux supplémentaires dans un petit carnet. Le King Edwin était son 2 078e bateau piloté depuis son entrée à la station dunkerquoise, l’Ardea le 2079e…

JFR

 Les pilotes, ces esthètes de la manoeuvre

Cet été, le Phare vous propose d’aller à la rencontre de ceux qui travaillent sur l’eau ou qui côtoient la mer au quotidien

Ils connaissent le port et la côte dunkerquoise comme la poche de leur veste de quart : les courants, la forme et les noms des bancs, les dimensions des écluses, la profondeur de chaque bassin, le poids des portes des écluses, jusqu’au nombre de bollards par quai.

.. et les hauteurs des grues ! Les pilotes, ces hommes de l’ombre qu’on ne croise jamais finalement, sont pourtant les maîtres des portes maritimes de Dunkerque. Capables de prendre la manoeuvre sur n’importe quel type de bateau, par n’importe quelle condition météorologique, les pilotes maritimes de la station dunkerquoise sont les seuls habilités – outre les capitaines-pilotes des ferries – à rentrer et faire sortir les navires dans les dédales de darses, de bassins et d’écluses, du grand port maritime de Dunkerque.

Un port peut-être plus difficile que les autres à négocier, avec ses courants traversiers, ses écluses, ses marées… Prendre en charge un bateau, une mission qui n’est pas des moindres puisque le pilote qui assure les manoeuvres, a entre ses mains, le navire, les hommes et son contenu. Autant dire qu’ils n’ont pas le droit à l’erreur. Des millions d’euros voire des milliards d’euros de marchandises sont en jeu à chaque fois. « C’est une relation de confiance », explique Jean-Charles Le Gall, président du Syndicat des pilotes, élu depuis 3 ans et demi, entré au pilotage en 1997.

Une confiance à chaque fois remise sur l’eau. Ce jour-là de juillet, Jean-François Raffini qui a obtenu son brevet de pilote à 32 ans, a été appelé pour deux bateaux. Il découvrira la fiche des navires qu’il va prendre en charge à son arrivée au siège. S’agit-il d’un navire de 292 mètres de longueur par 45 de largeur, un fameux minéralier Capesize de 170 000 tonnes dont le gabarit épouse les dimensions maximales de Dunkerque, d’où son nom Dunkerque Max ?

Avec ses plus de 10 ans d’ancienneté, il est habilité à les faire. Mais il aurait été épaulé par un de ses collègues. Obligatoire pour ce genre de navire aux dimensions hors normes. Pour cette fois, Jean-François Raffini a rendez-vous au terminal Stocknord sur le King Edwin, un pétrolier de 183 mètres. La veille, il avait sorti un petit gazier qui partait vers Anvers. Une nouvelle journée, un nouveau bateau, un nouveau capitaine, des conditions différentes. À chaque fois.

Un métier de feeling

Fin d’après-midi, le pilote monte à bord. « Il fait beau, mais il ne faut pas se laisser déconcentrer », confie ce Dunkerquois d’adoption, originaire de Corse. L’odeur prenante du fioul lourd qui enveloppe le bateau tranche avec la propreté quasi immaculée du navire. Prise de contact avec l’équipage et les données du bateau, le pilote est déjà concentré… « Le but est de bien gérer la vitesse du bateau… C’est un métier qui nécessite beaucoup de feeling…, illustre Jean-François Raffini. On commence sur des petits bateaux pour acquérir l’expérience nécessaire… » Une mission dont l’enjeu peut provoquer des doutes, voire la peur ? « On réussit tout le temps, mais il y a des manoeuvres qui sont moins belles que d’autres », concède-t-il. Des pilotes condamnés à réussir. « Un jour alors qu’un pilote allait partir à la retraite, on a placé des capteurs pour étudier son palpitant… La conclusion est qu’il avait encore des poussées d’adrénaline après des années de métier… » Cette adrénaline sans laquelle le métier de pilote maritime ne serait probablement pas le même. « On s’y accoutume », reconnaît Jean-François Raffini. « Mais c’est de la bonne adrénaline… »

« Il faut rester humble »

Un métier où l’analyse de la situation à l’instant T doit se conjuguer avec une prise de décision rapide et réfléchie. « Il faut prendre les étapes les unes après les autres et savoir rester humble, sinon, tu peux te retrouver dans la difficulté… Parfois, je me sens bien et je fais des trucs sympas, de belles manoeuvres… Mais il faut savoir se remettre perpétuellement en cause. En fait, chaque pilote est différent… » Jean-François Raffini, 41 ans, est un des 29 pilotes en poste à Dunkerque et un des 350 pilotes français. Recruté sur concours, il accuse déjà quelques années en mer… Breveté capitaine de marine marchande première classe, comme tous ses autres collègues, avec ses 72 mois de navigation obligatoire et ses 24 mois au long cours (mesure spécifique à Dunkerque), ce fils d’un ancien sous-marinier réformé aux Phares et Balises en tant que gardien de phare – celui des Sept îles au large de Perros-Guirec – a commencé comme mousse sur un bateau à passagers qui assurait la liaison avec les îles anglo-normandes.

Ancien officier de SeaFrance, il a passé le concours deux fois. « Quand on prépare le concours, il ne faut faire que ça… Il faut s’arrêter complètement de naviguer. C’est dix mois d’investissement. » Une implication qui, si le concours est concluant, permet au pilote de prendre des parts dans la station et assurer ce qui il y a de plus excitant dans la navigation : les manoeuvres !

Jean-François Raffini a toujours voulu être marin, « depuis que j’ai 12 ans. » Une «vraie passion » qui l’a mené aux quatre coins du monde, par tous les temps. « Un jour on était dans une tempête force 9, j’étais lieutenant, j’avais 25-26 ans, le capitaine nous avait fait mettre les combinaisons de survie. On avait pris une vague scélérate de 15 mètres de haut, des sabords ont cassé… On travaille dans un milieu hostile, rappelle-t-il, on a tous connu des grosses tempêtes ! » Du long cours au pilotage, Jean-François continue à tracer sa voie sur l’eau. Avec toujours ces éléments avec lesquels lui et ses collègues doivent composer. « L’hiver ici, ça bastonne, on a de grosses difficultés à piloter… »

Pilote, « job » dont il ignorait l’existence enfant et qu’il ne quitterait plus aujourd’hui. « C’est un métier magnifique. Il y a des conditions parfois difficiles, mais on est payé pour ça, c’est notre boulot. Si c’était simple, on n’aurait pas besoin de nous… » En quittant le King Edwin, le capitaine Timoscenco lui lancera le traditionnel « Good job pilote ! » Son homologue néerlandais, le jeune capitaine Van Der Knijf remerciera un peu plus tard « son ami le pilote. » Jean-François Raffini consignera ces deux bateaux supplémentaires dans un petit carnet. Le King Edwin était son 2 078e bateau piloté depuis son entrée à la station dunkerquoise, l’Ardea le 2079e…

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