DU GALION AU PORTE-CONTENEURS, Le pilotage de Dunkerque 1566-2010

 

« Le pilotage est un service rendu aux capitaines à l’entrée des ports, rades et chenaux maritimes par un personnel commissionné par l’Etat »

 

Cette très courte définition contient en elle la quintessence du métier de pilote maritime.

Autrefois, PILOTE désignait celui qui, à bord de la nef, connaissait l’art de la navigation, les étoiles, savait mesurer la hauteur du soleil et déterminer le point ; le CAPITAINE était lui le chef de l’expédition maritime et pas forcément marin.

Le mot pilote vient du hollandais « peillood » (sonde). En effet, dans l’antiquité le pilote était l’homme de sonde (loci manens) et en néerlandais moderne on le nomme « loods », comme le plomb (lood) utilisé jadis pour sonder.

Le premier règlement local du pilotage de Dunkerque (non retrouvé) daterait de 1566 sur ordre de Philippe II d’Espagne (à l’époque la Flandre est espagnole). Il s’agit en effet d’avoir des « pratiques » (en espagnol pilote se dit practicos) capables de guider les lourds galions qui apportent des troupes en grand nombre, parmi les traitres bancs de Flandre, invisibles mais si dangereux.

En août 1588 l’invincible armada en fuite sera sauvée par la science de trois « patrons lamaneurs » dunkerquois : Michel Jacobsen, François Ryndt et Jacques Rycx, entrés dans l’histoire : l’Amiral Jacobsen dit « le renard de la mer » est aussi le grand père maternel de Jean Bart !

 

Histoire Pilotage du Dunkerque

Dunkerque devient française en 1662 et son pilotage attaché à l’Amiral chef de la Marine. En 1681 la grande ordonnance sur la marine de Colbert organise la profession ; en  1685 il y a neuf pilotes à Dunkerque qui habitent autour du havre, le vieux port actuel. Le traité d’Utrecht de 1713 qui conclut les défaites de Louis XIV ferme le port jusqu’à la rupture du batardeau en 1720, les pilotes sont retournés à la grande pêche…

Dès lors les négociants réclament à grands cris leur retour et en 1740 un nouveau règlement du pilotage voit le jour. En 1747 le pilotage s’installe dans la tour du Leughenaer qui domine l’entrée du port et les bassins.

L’époque révolutionnaire est fort mauvaise : il ne viendra que 442 bateaux en 1793, 335 en 1794, puis Bonaparte néglige Dunkerque au profit d’Anvers : 232 navires en 1806, 132 en 1809, 22 en 1813 !!!!

Fort heureusement le formidable développement des industries du nord dès 1830 va relancer l’activité du port, accentuée par la politique coloniale du second Empire et l’arrivée en 1848 du chemin de fer il entrera 2400 navires en 1840 et presque 4000 en 1850. Le soutien réel du Ministre de Freycinet, l’ardeur de l’ingénieur – député Florent Guillain au parlement et la position stratégique de Dunkerque lors de la guerre de 1870 vont permettre à la fin du XIXème siècle de construire des grandes darses modernes accessibles par des écluses tout aussi modernes.

Les pilotes, de plus en plus recrutés parmi les Capitaines au long cours, participent activement à la croissance en s’équipant de fins voiliers patrouillant aux atterrages de la mer du nord à la rencontre des trois quatre mâts long-courriers : à Dungeness, au nord-ouest des bancs et au Dyck. Les noms sont restés connus : Allemès, Cordier, Bommelaer (l’oncle Cô), Fiquet etc…Ils sont les premiers pilotes de France à s’organiser en syndicat professionnel (1905).

La guerre de 14-18 est marquée par le passage à la vapeur grâce aux idées modernes de la nouvelle génération. Après la guerre, le trafic croit exponentiellement. Le 28 mars 1928 le parlement vote la loi qui réorganise le pilotage français, elle est toujours en vigueur ! Dunkerque devient le troisième port de France. Quand arrive la seconde guerre mondiale, les pilotes participent à toutes les opérations maritimes en particulier à dynamo. Trop modestes, ces héros n’ont jamais fait valoir leurs actions, c’est la STATION qui a été citée à l’ordre de l’armée de mer…

En 1946 il ne reste rien du port de Dunkerque ; dans des conditions inénarrables les Pilotes vont y amener des navires : le Jupiter le 9 août 1946 et, par la « grande écluse », l’Alsacien et le Jean L.D. le 12 octobre 1947. Après avoir utilisé de 1947 à 1954 de vieux dragueurs de mines déclassés et pourris les pilotes mettent en service leurs célèbres CORVETTES, stations flottantes au Dyck (nord de Calais) ; elles seront remplacées en 1990 par des hélicoptères… Les navires reçus sont de plus en plus lourds, les minéraliers font cent cinquante mille tonnes, les pétroliers le double, nous sommes entrés dans l’ère du gigantisme, les pilotes s’y étaient préparés : avec leurs hélicoptères et leur station de contrôle à terre, ils garantissent la sécurité de nos eaux maritimes et sont les premiers acteurs de l’activité portuaire, qui plus est, ils sont irremplaçables ! Aujourd’hui, ils manœuvrent des porte-conteneurs de 350 mètres de long – on est loin des galions dix fois moins longs – mais les bancs de Flandre, les passes, les hauts-fonds, les courants, les vents et les tempêtes eux sont toujours là !

Jacky MESSIAEN

Pilote (r) – membre de l’Académie de Marine